Chez PassePartout, nous croyons au paiement à l’article. Pourtant on sait bien que l’industrie n’en est pas à son coup d’essai sur ce sujet.
Blendle, la plateforme hollandaise où l’on pouvait acheter les articles des grands quotidiens néerlandais à l’article, est l’exemple le plus connu censé démontrer une fois pour toute que le paiement à l’article ne peut pas fonctionner. C'était l’analyse de leur pivot vers un modèle d’abonnement par Cyrille Frank en 2019 [1]. Dans cet article, il expose les arguments contre le modèle de paiement à l’article qui ont conduit Blendle à abdiquer - quelques mois avant de se faire racheter par le leader Cafeyn.
En bref :
1️⃣ le prix de l’article à l’unité, nécessairement bas pour provoquer la vente, ne permet pas d’être rentable ;
2️⃣ le contenu acheté à l’article concerne certaines catégories seulement : l’émotionnel, le scandale, ou le “rentable” (ex : 5 astuces pour optimiser fiscalement) et pousse les journaux dans la chasse au volume au détriment de la qualité ;
3️⃣ un article vendu, c’est un abonné potentiel en moins ;
4️⃣ à ne lire que le contenu pour lequel ils sont prêts à payer, les lecteurs “à l’article” s’enferment et risquent la “sclérose intellectuelle”.
On vous recommande la lecture complète de l’article pour un exposé plus étayé.
L’analyse de cet échec de Blendle ne nous semble finalement pas tant une critique de l’achat à l’article que du modèle de plateforme agrégatrice de contenu. L’achat à l’acte implémenté différemment à toutes ses chances malgré ces critiques 💪
1️⃣ Le paiement à l’article doit, pour aider à la rentabilité de la production de contenu de qualité, faire partie d’une stratégie de monétisation plus large des journaux, prenant en compte différents niveaux d’engagement du lecteur. Opéré directement sur le site de l’éditeur, le paiement à l’article crée non seulement un revenu supplémentaire direct mais il offre aussi une marche intermédiaire vers l’abonnement et permet de mieux valoriser ses espaces publicitaires grâce à une meilleure connaissance utilisateur. Autant d’avantages pour l’éditeur que n’offre pas une plateforme multi-journaux comme Blendle. Cyrille Frank précise d’ailleurs à la fin de son article que le passage au modèle d’abonnement ne changera pas “le revenu par éditeur [qui] est forcément faible”. Le problème n’est donc pas l’achat à l’article mais de n’avoir que cette corde à son arc et de couper la relation entre l’éditeur et son lecteur.
2️⃣ Il existe une part conséquente d’utilisateurs prêts à payer pour des contenus de qualité mais qui ne souhaitent pas immédiatement endosser le statut et les engagements d’un abonné : l’achat à l’acte est une opportunité de faire rester l’utilisateur plus longtemps sur le site, de lui faire découvrir la qualité du service plutôt que le voir fuir immédiatement.
3️⃣ Le risque de déformation de la ligne éditoriale à la recherche de plus de trafic n’est pas nouveau et n’est pas limité à l’achat à l’acte : cet argument s’applique aussi bien aux articles gratuits (dont les revenus sont aussi indexés sur le volume). Les articles réservés aux abonnés sont aussi jugés à la lumière du nombre d’utilisateurs qu’ils ont “convertis”. En utilisant l’achat à l'acte non pas comme une alternative à l’abonnement, mais comme une marche vers celui-ci, l’intérêt des journaux est bien d’offrir un reflet authentique de leur offre complète et non pas de maximiser le volume.
4️⃣ Enfin concernant la sclérose intellectuelle que Cyrille anticipe pour les lecteurs “à l’article”, nous prévoyons l’effet inverse. L’omniprésence du modèle 100% l’abonnement réserve le contenu de qualité à une minorité et renforce l’effet “chambre d’écho” sans possibilité de sortir de sa ligne et d’accéder facilement à du contenu divergent. Le paiement à l’article permet l’accès à une plus grande variété de contenus et de points de vue, et offre à moindre coût une ouverture d’horizon considérable.
La relation directe avec leur audience est un enjeu absolument majeur pour les journaux qui ne veulent pas être intermédiés par une plateforme. L’achat à l’article cross-éditeurs, implémenté directement les sites des journaux, surmonte les limites souvent avancées contre ce modèle et peut faire la différence pour proposer une expérience aussi profitable aux lecteurs qu’aux journaux.
Cyrille confesse “y avoir cru à un moment”. Nous allons lui donner des raisons d’y croire à nouveau !